Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ?
Ceci : que nous soyons humains envers les humains, qu’entre nous demeure
l’entre nous qui nous fait hommes.
Car si cela venait à manquer, nous tomberions dans l’abîme,
non pas du bestial, mais de l’inhumain ou du déshumain, le monstrueux
chaos de terreur et de violence où tout se défait.
Cette mutuelle et primitive reconnaissance, c’est en un sens
le banal et l’ordinaire de la vie.
C’est ce qui s’échange dans le travail partagé, dans les
gestes simples de la tendresse, dans les conversations au contenu peut-être
dérisoire, mais où pourtant l’on converse, face à face, présents pour
s’entendre.
C’est ce qui subsiste et ressurgi dans les situations
extrêmes : quand quelqu’un va mourir (du sida, d’un cancer, de
vieillesse..), quand quelqu’un, par âge ou accident, est réduit à l’hébétude,
ou qu’il se trouve noué dans l’angoisse, ou quand une mère regarde pour la
première fois l’enfant qui vient de sortir d’elle.
Alors il arrive qu’un presque rien, la lumière d’un visage,
la musique d’une voix, le geste offert d’une main, tout d’un coup disent
tout : et que par exemple cet épuisé qu’on croyait noyé dans l’absence
signe d’un mouvement presque invisible la présence de la présence.
Parole, primordiale parole où se désigne l’humain de
l’humain. Elle peut être sans mots, dans l’aube impalpable du langage. Et si
des mots la disent, ils sont chair et esprit, pétris d’une substance qui les
exhausse au-dessus du langage ordinaire.
Maurice
BELLET
« Incipit
ou le commencement »
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